Le
festival du court métrage d'Aix (Festival Tous Court) a ouvert
ses portes au cinéma venu d'Asie. Pas n'importe lequel (pas
celui des co-productions internationales, par exemple) : celui
des courts métrages.
La sélection et l'acheminement des films s'est avéré difficile
et coûteux. Il n'y a pas de subventions ou d'aides spéciales
comme dans le contexte européen pour ce qui concerne l'Asie.
Mais le nombre d'invité a dépassé les attentes : le
membre du jury et invité d'Honneur Choi Min, directeur de
l'école nationale de cinéma coréenne, puis des cinéastes,
des acteurs et mêmes des techniciens ont fait le déplacement
à Aix : par exemple, le taïwanais David Lee ou les japonais
Urata Hideo ou encore Matsumura Hiroyuki auteur du métaphorique
et révolutionnaire Factory Girl.
Le
public n'a pas manqué à l'appel : les spécialistes du cinéma
asiatiques sont venus voir des oeuvres quasiment invisibles
en Occident et les autres sont venus découvrir cette force
expressive qui caractérise la plupart de ces films par rapport
au tout venant de la production subventionnée française et
européenne.
Plus qu'un simple exercice sur les contraintes de la courte
durée, les films présentés ici sont des tentatives de déformatage,
de désindustrialisation du format film. Il s'agit de libérer
la durée de l'expression et de pratiquer l'expression dans
la durée.
D'où vient cette liberté du film asiatique? Encore préservé
des marchés télévisuels, les courts ne sont pas un moyen pour
les jeunes de rentrer dans le rang des "professionnels
de la profession"(Godard). Alors que le système corporatiste
(stages, assistanat) des cinémas asiatiques, excluait la pratique
du court, son déclin au profit des universités ne l'instaure
pas encore comme visa de professionnalisation. Son peu de
valeur marchande et sa faible diffusion le dégage des pouvoirs
commerciaux et politiques. Il est apte à porter aussi bien
l'expression militante que le vide expressif, et de rencontrer
un seul ou des milliers de spectateurs, avec la force signifiante
du hasard des rencontres.
Dans
le programme présenté, la Corée du Sud, première productrice
de courts d'Asie, est prépondérante. Le contexte universitaire
qui organise la formation des jeunes favorise son expansion.
Le fleuron de ces nouvelles écoles, l'école nationale du cinéma
au sein de la K.N.U.A (Korean National University of Art)
nous présente ses derniers films. Trois d'entre eux, notamment,
illustrent des tendances profondes du cinéma asiatique actuel
à la suite de Tsai Ming-liang et de Wong Kar-wai : To My
Love (compétition) et Glass Ceiling participent
de ce saut qualitatif qui veut faire passer le cinéma d'ambition
réaliste au cinéma du vivant.
Glass Ceiling compose un réel structuraliste fait de trajectoires
croisées, de parallèles incertains. Le vivant y est une présence
saugrenue qui cherche à échapper au spectacle mécanique et
uniformisateur des apparences du monde moderne.
To My Love compose un réel constitué de diverses temporalités
où le vivant est avant tout conscience et mémoire ; dernier
refuge de la captation objective au milieu de corps cybernétisés
et prisonniers de configurations d'une réalité programmée.
Shade of Moon, de son côté, quitte le cinéma formaté
par la pensée binaire occidentale et son rationalisme tayloriste
pour exprimer par le tempo des silences et des incantations
l'indicible des extases chamaniques.
Dans
la sélection interasiatique, le Thaïlandais Miami Strips,
Hollywood Dream cherche à percer les cartes postales exotiques
du pays du tourisme sexuel. Leur détournement les fait parler
la langue bien plus humaine de l'affection et des sentiments.
C'est le film de l'Asie consciente d'être du tiers-monde.
La technologisation de la société ne met pas un terme à la
misère. La misère que met en image le Japonais Illusive
Love est celle d'une jeunesse en pleine acculturation.
Cinéma héritier du freudo-marxisme japonais des Oshima, Hani
et Kaneto Shindo que les prothèses de désir de la modernité
a privé de matières premières. Les corps sans organes de la
société technocratique japonaise rejoignent les automates
cinétiques du langage cinématographique dominant ; la déconstruction
de l'un et de l'autre sont à l'ouvre dans le journal en images
d'une intimité fragmentée de L'Amant au dessus de ma
clavicule, où quand l'intériorité asiatique construite sur
des signes extérieurs ne les trouvent plus et se les fabrique.
Enfin,
au delà des John Woo et autres Yuen serviles techniciens de
la machine hollywoodienne, la véritable diaspora asiatique
apporte sa vision de l'Occident : le Taiwanais de New-York,
The Delivery démonte la logique implacable de l'exploitation
qui mène les "minorités" à s'entre-tuer. Le système binaire
de l'action-réaction de la mécanique du cinéma américain est
ici la logique même de l'aliénation, la règle du jeu social
de l'affrontement du gagnant et du perdant, de l'ami et de
l'ennemi, du maître et de l'esclave, de la misère et de la
richesse. Un monde de la séparation et de l'opposition bien
éloigné de l'Unité organique et fondatrice de l' esprit d'une
civilisation asiatique.
Antoine
Coppola
La reproduction des textes, dessins et
graphiques et interdites sans l'autorisation écrite
de l'auteur (article L 122-4 du code de la propriété
intellectuelle
|
|