La série des Young and Dangerous : attention danger !
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Young
and Dangerous est devenu, en 6 épisodes, l'une des séries les
plus rentables de toute l'industrie hong-kongaise. Mais derrière
cet énorme succès se "cachent" des films offrant au public une image
glorifiée de la criminalité et de la mafia.
Même
pour quelqu'un qui n'a pas encore vu un seul film de la série, Young
and Dangerous est un nom immanquablement familier. D'abord à
cause du succès et des rentrées d'argent que toute la série à rapporter
à Andrew Lau, le réalisateur. Ensuite à cause de l'engouement que
ces films ont provoqué à Hong Kong, créant même plusieurs copies
quasi-conformes, qui jouent, bien naturellement sur la même carte
des jeunes voyous s'enrichissant grâce au crime.
Il faut
effectivement bien reconnaître des qualités à tous ces films : la
mise en scène est très soignée (Andrew Lau a commencé dans la profession
comme cinématographe, il a notamment travaillé sur des films comme
As Tears go By), les acteurs sont des vedettes bien connus
du public hong-kongais et les différents films sont plutôt divertissants.
Derrière
les apparences
Mais
Young and Dangerous, à travers ses héros réussissant grâce
au vol, à l'extorsion et au meurtre, laisse un arrière goût amer.
Toute la série semble effectivement n'être qu'une glorification
des triades et du crime. A aucun moment sent-on une remise en question
de la façon dont ces jeunes s'enrichissent.
Le seul message que semble véhiculé Young and Dangerous est
que si l'on veut réussir actuellement à Hong Kong, et que l'on est
jeune, il faut rejoindre les triades.
Le côté romantique et asocial des différents personnages se révèle
aussi on ne peut plus attractif pour un public jeune en pleine rébellion
et cherchant à se démarquer du reste du monde. The Prequel,
le sixième volet de la série, accentue même cette image de rebelles
en montrant les protagonistes comme des rockers-without-a-cause,
le genre d'icônes que des milliers d'adolescents vénèrent aux quatre
coins du monde.
Impact
visuel
Copies
conformes
Vu
le succès de la série YaD, d'autres réalisateurs
ont décidé de rentrer dans la danse et de retirer de ce marché
juteux quelque argent.
Francis Ng, qui jouait dans le tout premier épisode de YaD,
se retrouve dans trois des ersatz de la série : le pathétique
Sexy and Dangerous (qui vient d'ailleurs de bénéficier
d'une suite !), et les deux volets de Once Upon a Time
in Triad Society où Ng reprend son rôle de Pretty Boy
Kwun de YaD (renommé dans ce film Clever Gwun, le réalisateur
n'ayant pas obtenu le droit d'utiliser ce premier nom).
Sexy
and Dangerous porte déjà très mal son titre, les différentes
actrices portant plus souvent des pantalons en forme de sac
poubelle que des fringues sexy et donnant plus volontiers
dans la grosse pouf vulgaire que le sexy. Quand au danger,
en dehors de la santé mental du spectateur, ont l'attend toujours
de la part de ces héroïnes qui auraient mieux fait de rester
coudre à la maison que de nous ennuyer pendant une heure et
demi (oh quel affreux misogyne je fais !).
Les
femmes sont de nouveau à l'honneur dans Street Angels
avec la plus célébre tueuse de Hong Kong, Chingamy
Yau. Film glorificateur de triades, Street Angels s'inspire,
comme Sexy and Dangerous et bien sûr YaD,
d'une BD locale.
War
of the Underworld est un autre exemple d'imitation. Les
producteurs ayant naturellement besoin d'un protagoniste quelconque
de la véritable série ont choisi ici Jordan Chan. Mais le
plus étonnant est la participation de Tony Leung Chiu-wai
dans cette catastrophique approche romantique des triades.
Comment un tel acteur a-t-il bien pu se retrouver dans une
telle production ? Y aurait-il été forcé par des triades ?!
Peu importe car même son interprétation n'éléve pas War
of the Underworld du caniveau dans lequel il est tombé.
On
peut aussi citer dans cette vague de films : Those Were
the Days (à ne pas confondre avec le film homonyme
de Eric Tsang), Street of Fury, Portland Street
Blues et Chinese Midnight Express, où des
triades (évidemment gentilles) luttent en prison contre
des policiers (évidemment méchants)...
Heureusement
certains films ont pris le contre pied du sujet abordé par
YaD en montrant les triades sont un jour totalement
différent. Made in Hong Kong, A True Mob Story
2… décrivent ainsi le monde des triades sous un éclairage
beaucoup plus sombre et proche de la réalité que dans YaD.
Ce qui est plutôt agréable à voir après une telle déferlante
de gentils mafieux…
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Sans
vouloir rentrer dans ce discours typiquement américain, qui commence
d'ailleurs à se faire de plus en plus sentir de ce coté de l'Atlantique,
où, dès que des jeunes commettent un crime, la télévision et le
cinéma sont tout de suite mis en cause et mis en avant comme responsable
des tendances criminelles de ces délinquants en herbe, il faut pourtant
reconnaître que les six YaD peuvent avoir un effet néfaste.
Condamner
le cinéma pour les crimes commis par de jeunes déstabilisés (comme
ce fut une nouvelle fois le cas dans la fusillade perpétré par deux
dégénérés dans un lycée américain, où les médias on tout de suite
trouver quelques film où les assassins se baladaient en imperméable
et qui auraient naturellement joué un grand rôle dans le passage
à l'acte de ces deux tarés) c'est ignorer le véritable problème
et chercher un coupable vite trouvé. C'est surtout oublier de mettre
en cause le contexte socio-politiques dans lequel ces jeunes ont
grandis et vivent : pour les deux ramollis du cerveau qui ont ouvert
le feu dans leur lycée c'est le racisme latent de la société américaine
et la vente libre des armes qui sont en cause, pour les gangs de
LA se sont la pauvreté et, de nouveau, la ségrégation racial… et
ainsi de suite. Mais il ne faut pas pour autant nier que le cinéma
peut avoir un certain impact sur son public. Hitler l'avait d'ailleurs
bien compris en utilisant le grand écran comme moyen de propagande.
Alors qu'aucun des films généralement mis en cause dans toutes les
affaires précités n'avaient comme vocation première de pousser au
crime, Young and Dangerous, au contraire, semble fonctionner
comme une véritable publicité de recrutement pour les triades !
Même si souvent les "criminels" ont été pris comme héros au cinéma
1, aucun de ces films ne donnaient pour autant
une image acceptable et positive du "milieu". Andrew Lau franchit
allégrement le pas en conseillant aux jeunes, c'est de nouveau particulièrement
visible dans le sixième volet, de mener une vie de crime pour arriver
au sommet. Le pire c'est que nos jeunes triades sont montrés comme
de véritables héros, obligés de faire des sacrifices afin de pouvoir
mener correctement leur vie de criminels.
Dans
des films comme Boyz in the Hood, les personnages se retrouvent
mener une vie de gangsters parce que la société ne leur accorde
aucune place (une réalité de la vie des ghettos de LA), les jeunes
de YaD sont présentés, eux aussi, comme des rejets de la
société, alors qu'ils n'en sont absolument pas ! La seule chose
qui les mènent aux triades est un malheureux renvoi de leur école.
Un peu léger pour transformer ces personnages en héros-solitaires-rejettés-de-tous-mais-réussissant-malgré-tout-grâce-au-crime.
Alors que Andrew Lau aurait du les montrer comme des merdeux parasites
qui ne savent que foutre le boxon (ce qui aurait définitivement
donné un intérêt bien supérieur à cette série), ils sont décrits
comme de jeunes incompris qui n'ont pas d'autre choix dans leurs
vie que de mener une existence criminelle.
Bons
et mauvais mafieux
Le
milieu des triades est naturellement montré comme honorable et partisan
de bonnes valeurs comme l'amitié, la sincérité et tutti quanti…
Les méchants triades, bien sûr, n'ont aucune notion de l'honneur
et seuls nos héros sont là pour montrer le vrai chemin à
suivre : sacrifice, respect envers le chef, honneur (je cherche
toujours ce qu'il y a d'honorable dans le meurtre à des fins financières
et le tabassage d'innocents)… Des valeurs vidés de leurs contenus
qui ne servent qu'à idéaliser les triades.
La
série montre aussi que les triades, lorsqu'elles ne vendent pas
de drogue, comme les héros, sont de bonnes triades. La prostitution,
le racket et le meurtre ne seraient donc que des broutilles ?! Même
si dans le quatrième épisode Chan Ho-nam (Ekin Cheng), la grande
vedette de toute la série, est mal à l'aise avec son statut de big-boss,
à aucun moment Andrew Lau ne décide de montrer les triades sous
un jour négatif, même si certaines triades sont effectivement montrées
comme mauvaises (mais pour de mauvaises raisons). Et cette différenciation
entre bonne et mauvaise triade est aussi extrémement dangereuse,
il ne faut jamais perdre de vue qu'à la base ce sont tous des criminels.
Le
pire c'est que cette représentation des choses est très répandue
à Hong Kong, voir même en Chine, où un officiel avait d'ailleurs
déclaré, a propos de la rétrocession, que les triades n'étaient
pas un problème. A Hong Kong et à Taiwan, les triades restent souvent
considérées comme de simples groupes de patriotes qui avaient luttés,
à l'époque de la révolution culturelle, contre les communistes.
Ce qui fait que les triades ont tout naturellement une bonne image
auprès de la population, comme les Yakuzas au Japon, qui soutiennent
leur quartier et aident financièrement certains jeunes à poursuivre
des études.
Bref les triades sont quasiment une institution à Hong Kong et font
parti du décor.
Des
films sociaux-politiques ?
Certains
critiques ont vu dans la série des YaD une crainte du retour
de Hong Kong à la Chine et une critique mélée à une métaphore de
la société hong kongaise actuelle. Sans vouloir descendre ces thèses
intellectuelles, il ne semble définitivement pas que Wong Jing,
l'auteur le plus commercial actuellement de Hong Kong, ait eu la
moindre volonté de faire autre chose de YaD qu'une série
mettant en valeur les triades et visant à distraire son public.
Bien sûr on peut trouver des analyses très sophistiqué pour n'importe
que film (et n'importe quel navet) mais il faut parfois arrêter
la masturbation mental et savoir reconnaître qu'un film ne dit rien
d'autre que ce qu'il montre. Ce qui est bien le cas des YaD.
Manfred Wong, ne l'oublions pas, c'est servit d'une bande dessinée
local pour sa série et ne fait que reprendre les héros et les situations
mises en scène dans les page de ce comic qui ne cherche pas à véhiculé
quelque message politique ou social que ce soit. Même si le deuxième
épisode se moquait du milieu politique taiwanais infiltré par les
triades, on ne peut guère dire pour autant que cela fait de YaD
une œuvre à caractère politique.
La
mafia du cinéma
Il
est bien connu que les triades sont fermement implantés dans le
milieu du cinéma, certains d'entre eux s'étant même improvisé comme
acteur, producteur ou réalisateur. Pour reprendre un dialogue qui
m'a décidément marqué (je l'ai déjà cité dans le précédent numéro,
désolé…) : "Les films de gangsters sont faits par des gangsters
afin de se donner une bonne image et attirer des jeunes à les rejoindre",
dixit Tony Leung dans Days of Being Dumb (un des rares films
à tourner le milieu des triades au ridicule).
Young
and Dangerous essaie tellement grossièrement de donner une bonne
image des triades que l'on peut se demander si toutes les familles
de Hong Kong ne se sont pas réunis pour commander cette série…
Julien
Sévéon
Originellement publié dans East Side Stories n°2
et remis en forme pour l'édition Web
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