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Kairo

"…E tu vivrai nel terrore !"

A peine quelques mois après sa sorte japonaise, Kairo débarque déjà sur nos écrans. Non seulement Kiyoshi Kurosawa crée de nouveau l'événement, mais en plus son nouveau film renforce encore plus ce que l'on vous dit depuis plusieurs numéros : les Japonais sont devenus les meilleurs producteurs de films d'horreur au monde !

 

"Lorsqu'il n'y a plus de place en enfer, les morts reviennent sur terre". Cette phrase, extraite du célèbre Zombi de George Romero, Kurosawa la fait sienne dans sa nouvelle œuvre aux relents apocalyptiques. Pourtant, lorsque l'on vous parlait il y a près d'un an de Kairo (cf ESS n°4), on ne s'attendait vraiment pas à ce qui allait nous arriver dessus. Après tout, c'est vrai, une histoire de fantômes sur l'Internet (c'est comme ceci que Kurosawa présentait son film à l'époque) ça sent le déjà vu. Et pourtant, Kairo est tout sauf un concentré de stéréotypes.

Michi (Kumiko Aso) et Junko (Kurume Arisaka) s'inquiètent pour leur collègue de travail Taguchi (Kenji Mizuhashi) qui ne donne plus de nouvelles depuis une semaine. Michi décide de se rendre chez lui. Là, elle trouve Taguchi dans l'obscurité, et se portant visiblement bien. Pourtant, quelques instants plus tard, le jeune informaticien se pend pendant que sa collègue est dans une pièce voisine. La raison de ce suicide semble résider dans une disquette que Michi a récupérée et où se trouve une étrange photo de la chambre de son ancien collègue.
Ailleurs, Kawashima (Haruhiko Kato) un jeune étudiant solitaire, vient de s'installer un kit de connections à Internet. Mais lors de la mise en route d'étranges images - similaires à celle trouvée sur la disquette - apparaissent. Kawashima contacte alors une étudiante en science de son école, Harué (Koyuki), qui pense comprendre ce qui se passe. Un autre étudiant en science (Shinji Takeda, vu dans Vaines Illusions et Hotoke) à une explication quelque peu irrationnelle sur les étranges disparitions et apparitions qui perturbent tout ce qui les entoure. Selon lui, le lieux qui contient tous les esprits des morts depuis la création de l'univers est en train de saturer. La seule solution pour faire face au surplus : envoyer les fantômes sur terre…

Malgré ce court résumé, Kairo n'est pas un simple film de fantômes, même si ceux-ci sont définitivement présents dans le film. Tout comme dans Cure et Charisma, Kurosawa s'attaque avant tout à notre civilisation technologique - ce qui n'est pas non plus sans nous ramener à Ring (cf n°3 et 4) et Hypnosis (cf n°5). Mais c'est aussi l'un de ses thèmes favoris, celui de la contamination, qui est au centre du récit. Une contamination sous forme de virus informatique qui se propage via le réseau des réseaux et ne tarde pas à infecter toute la planète. Comme dans les précédents film de Kiyoshi, Kairo se révèle très riche en thématiques et en sous-textes.
Kurosawa fustige notre société informatisée qui, malgré ses prétentions de vouloir tous nous rapprocher ("Le monde n'a jamais était aussi petit depuis Internet", comme aime bien nous le rappeler les publicitaires), fait de nous des sociopathes fantômes n'existant qu'au travers de nos ordinateurs ou de nos web-cams. Et oui, cher lecteur, c'est de toi dont Kurosawa parle. Toi, qui est assis devant ton ordinateur, plongé dans la lecture de ce texte. Toi qui surfe des heures durant à la recherche de "contacts".
Mais Kurosawa s'adresse aussi à l'auteur de cet article, qui essaye de communiquer avec les autres au travers de ces mots qu'il place sur le Web, sans même savoir si ils seront lu un jour - ni par qui… D'ailleurs ne suis-je pas en train de m'interroger tout seul ? Kairo est en tout cas le premier film qui prend tout son sens au travers d'une critique envoyée dans le vide du web… Mais trêve de plaisanteries, Kairo ne prête pas une seconde à rire. L'ambiance urbaine ultra glauque, toute en teintes marrons, et le vide absolu qui, petit à petit, rattrape tous les personnages, nous plongent dans la conception même du mal selon Kurosawa. Notre monde est malade… et nous sommes le virus.

Kairo est un film que l'on peut analyser sans fin, mais ne perdons pas de vue que Kurosawa œuvre aussi dans le "cinéma de genre" pour faire passer ses messages, interrogations et mises en garde. Car Kairo est aussi un film d'horreur. Et sacrément efficace, qui plus est. Kurosawa insuffle la peur dans son film de la même manière que ses collègues de la nouvelle vague horrifique nippone. L'image est là essentielle (pas étonnant pour un film qui critique nos sociétés modernes basées sur le visuel) et joue tout à la fois à un niveau purement viscéral (la peur dans sa plus simple expression), mais aussi psychologique (car, tout comme dans Ring en particulier, les images apparaissant sur les ordinateurs sont tout à la fois flippantes de simplicité et lourdes d'un sens qui nous échappe et que notre cerveau essaye désespérément de percer). La musique, signée Takefumi Haketa, n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle que Kenji Kawai composa pour Ring et sa suite.
Bref, Kairo se révèle plus d'une fois vraiment terrifiant. D'ailleurs, pour en revenir à la phrase ouvrant cet article, Kairo fait parfois penser à L'Au Delà du grand maître Lucio Fulci. En particulier dans ces scènes où une voiture roule sur des routes vides semblant mener vers un autre monde. L'accroche même de L'Au Delà, "Et tu vivras dans la peur", est d'ailleurs plusieurs fois utilisée dans le film. Et l'ambiance de fin du monde dans laquelle baigne le film n'est, là aussi, pas très éloignée de l'univers de Fulci. Sauf qu'ici, on ne trouve aucun débordement gore…
La peur provoquée par le film s'accompagne aussi d'un véritable malaise, qui continue un bon moment après la fin des images. Ceux qui, par la suite, se trouveront aux heures de pointes dans le métro, entourés de personnes stoïques ne parlant pas, comprendrons sûrement à ce moment là
toute la portée du film.

Julien Sévéon

 



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